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Tout sécuritaire 20/10/2011 à 15h58
Caen, ce petit club de foot familial dont les supporters font grève
« Le Stade Malherbe Caen vous félicite d'être un très bon public normand : fidèle, familial, nombreux et respectueux. »
C'est ainsi que le club de foot du Calvados loue ses supporters sur son
site Internet. Pourtant, la réalité est beaucoup moins chaleureuse.
Depuis la 5e journée de Ligue 1 et la réception de Toulouse, le 10 septembre dernier, le
stade Michel d'Ornano, présenté benoîtement comme le théâtre de l'attachement et de la convivialité, sonne creux.
Même les commentateurs de Canal +, pour qui un stade de football doit naturellement résonner, ont été surpris d'entendre les mouches voler au-dessus du pré normand.
« A l'extérieur, on est mieux accueillis ! »
La raison : les supporters les plus fervents, regroupés derrière les buts sous la bannière Malherbe Normandy Kop (
MNK), ont décidé de faire grève. Plus de chants, plus de banderoles. Rien.
En cause : les relations houleuses avec le club qui mène la vie dure à ses supporters qu'il prétend tant aimer. Stéphane Guille-Villy, porte parole du MNK :
« Ca fait un moment que c'est tendu avec le directeur de la sécurité de Malherbe, Pilou Mokkedel, au point, qu'après discussions en interne, on en est venu à cette décision forte.
Mais on a cessé nos activités seulement à domicile, pas à l'extérieur où on est souvent mieux accueillis que dans notre propre stade ! »
Les motifs de colère des fans sont nombreux. Malgré leur soutien indéfectible et animé au club caennais, les membres du MNK se sont vu interdire l'accès au stade Michel d'Ornano une heure avant les rencontres pour installer le «
tifo », l'animation visuelle déployée à l'entrée des joueurs.
Accès au stade interdit pour 0,2 g/l d'alcool dans le sang
Exit aussi le local de stockage de leur matériel, dans les coursives de l'enceinte, soupçonné, par certains dirigeants, d'être « un nid à fumigènes », interdits par la Ligue.
Autre raison et non des moindres, un contrôle d'alcoolémie à l'entrée du stade, en janvier dernier, lors de Caen-Auxerre. Stéphane Guille-Villy raconte que des supporters ayant un taux de 0,2 gramme d'alcool par litre de sang ont été refoulés de l'enceinte :
« On leur a dit qu'ils n'avaient pas le droit de pénétrer dans le stade mais qu'ils pouvaient rentrer chez eux en voiture ! »
Des contrôles d'alcoolémie « effectués avec discernement », assure la préfecture...
La goutte d'eau pour le porte-parole du MNK, c'est le dernier match de la saison dernière contre Marseille, le match du maintien pour le Stade Malherbe, où les supporteurs se sont sentis trahis par le club devant la justice :
« Les dirigeants voulaient un stade en ébullition. On avait un accord avec eux pour allumer des fumigènes qui devaient ensuite être récupérés par les stadiers. Sauf qu'à la fin, une personne du groupe a été interpellée par la gendarmerie en possession de fumigènes.
Il a été jugé cet été et surtout, le club s'est porté partie civile, demandant la peine maximale. Le supporter a pris 2 ans d'
interdiction judiciaire de stade et une amende de 1000 euros dont 500 avec sursis. »
18 euros en virage
Ajoutez à cela, la rencontre Caen-Lille, lors de la 3e journée, classée match de gala, pour laquelle il fallait débourser 18 euros en virage (contre 10 il y a quelques années), et le MNK a décidé de ranger sa bâche et ses encouragements lors des matches à domicile. Non sans une dernière apostrophe aux dirigeants, gravée sur banderole :
« 18 euros, et vous appelez ça populaire ! »
Tandis que la situation ne cesse de se tendre, les dirigeants, eux, refusent de communiquer. En un mois et demi, les supporters ont été confrontés au même silence que les médias locaux de la part de Pilou Mokkedel.
C'est seulement ce lundi qu'une réunion s'est tenue en présence des différents acteurs du club et des pouvoirs publics, après une première entrevue la semaine dernière avec le président de Caen, Jean-François Fortin. S'ils constatent des avancées, les membres du MNK déplorent les conséquences du tout sécuritaire dans les stades de football :
« On a fait face à des personnes “ habilitées ” mais aucunement concernées par le sportif ou le festif, se contentant d'appliquer à la lettre des règlements ou des lois toujours plus restrictifs, sans aucune autre considération.
Le “ risque zéro ” partout et toujours, et qu'importe si le prix à payer est un monde triste et sans passion. »

Les supporters de Caen encouragent leur équipe face au PSG en finale de Coupe de la Ligue au Stade de France le 30 avril 2005 (Christophe Saidi/Reuters)
La Ligue a son master des métiers de la sécurité
Si Christophe Vaucelle, le président du MNK reconnaît « l'ouverture » et le « dialogue » du
président Fortin, la véritable cible des supporters, c'est Pilou Mokkedel, responsable historique de la buvette du stade, qui cumule aujourd'hui cette casquette avec celle de directeur de la sécurité et... de la communication du Stade Malherbe de Caen. En d'autres mots, l'homme à tout faire du club, auquel le président délègue toute sa confiance.
Pilou Mokkedel est secondé depuis peu, à la direction de la sécurité, par Laurent Charbonnet, fraichement diplômé du
master des métiers de la sécurité, copiloté par l'université de Rennes 2 et la Ligue de football professionnel (LFP).
Un cursus destiné à former les directeurs de sécurité des clubs professionnels, selon Dominique Bodin,
maître de conférence à l'université de Rennes 2 et responsable de ce master :
« La formation vise à dépasser la simple question de la sécurisation du stade, en rendant le directeur de la sécurité polyvalent pour l'accueil d'événements divers et en ayant à l'esprit qu'on s'adresse à différents publics. »
Un master qui donne donc de drôles de résultats. Les supporters comprennent d'autant moins la rigidité du club que la préfecture du Calvados, elle-même, reconnaît la relative quiétude de Malherbe :
« Les sanctions prises à l'encontre de quelques individus sont peu nombreuses et mesurées. En 2011, six interdictions de stade ont été prises. Ces interdictions sont très marginales par rapport au public accueilli. »
Censure et sabotage
Un supporter caennais, qui préfère rester anonyme :
« La direction veut contrôler toute la communication autour du stade Malherbe, il ne doit pas y avoir de vague. »
Et pour s'en assurer, tous les moyens semblent bons. Comme une plainte en 2007 contre un blog satirique,
Papablog, narrant sur un ton acerbe les pérégrinations de l'entraîneur de l'époque Patrick
Parizon, finalement classée sans suite.
Ou le
sabotage du site non-officiel Passion Malherbe, parce qu'il hébergeait des propos critiques à l'égard des joueurs ou encore la fréquente suppression de commentaires désobligeants sur la page Facebook du club. Voilà de quoi écorner l'image familiale que le SMC veut se donner.
Encore une fois, silence radio du côté des dirigeants sur ces procédés.
« On veut du concret »
Le club reconnaît le « malaise » qui s'est immiscé avec les supporters mais se garde bien d'en expliquer les raisons. On se contente d'évoquer « un pas en avant », avec la réunion de lundi. Sauf qu'au MNK, les paroles ne suffisent plus. Stéphane Guille-Villy :
« Des promesses, il y'en a déjà eu. Ca n'a jamais tenu. On veut du concret maintenant sur la présence policière, sur les tarifs en virage populaire et sur la liberté d'organiser des animations en tribune. »
Et la
perspective de l'Euro 2016 en France et ses stades « aseptisés » n'est pas pour rassurer les supporters de Caen.